Avant la pluie

Avant la pluie

Ce jour-là, la Mort est entrée avec lui, couchée à ses côtés sur un brancard, et pour la première fois j'ai croisé son visage. Pourtant, quand je m'étais penché sur lui pour un premier coup d'oeil, l'enfant semblait dormir. Il vivait, très pâle et les yeux clos.

- Tu t'appelles comment ?

Ma question s'est diluée dans l'air blanc sans écho ; le garçon ne cillait pas. Je ne m'en suis pas inquiété. Rien ne me paraissait grave encore, hormis la suffocation qui nous empoignait tous dans ce bâtiment de verre où miroitait le soleil. La lumière frappait durement sur les vitres et, dans la moiteur où nous transpirions, je me sentais le sang trop épais pour penser de façon raisonnée. Torse nu sous ma blouse blanche, je dégoulinais de partout, brûlant comme l'été, fiévreux comme nos malades. Et toute l'eau de la fontaine mise à disposition n'aurait pu étancher ma soif, ascendante au fil des heures impitoyables de cette matinée. Les stores baissés nous confinaient dans un sentiment d'enfermement dénué de fraîcheur et tout empreint d'accablement.

Je rêvais de douche froide et de pluie, d'un orage explosant juste au-dessus de mon cerveau surchauffé pour me rafraîchir les idées. Alors je pourrais soulager vraiment tous ceux qui venaient m'exposer leur souffrance ! Ils repartiraient libérés, la douleur en moins. Telle était du moins ma vision de la médecine en ce temps-là, la raison de ma présence en pédiatrie.

Peu avant que la pluie n'efface toute trace du drame, un enfant meurt, écrasé sur un passage piéton. Dans le quartier sans remous de l'Ancien-Abattoir, les coeurs s'arrêtent et les témoins défilent, muets de stupeur et d'incrédulité. Puis le doute envahit lentement les esprits. Ce jour-là, lequel d'entre eux a lancé son bolide tout exprès contre Olivier ? Qui se promène en liberté dans les rues, le visage innocent mais du sang sur les mains ? Les zones d'ombre s'étendent et le soupçon grandit, tenace... Au milieu de ces passants sans histoire, lequel a prémédité la mort d'un enfant ?