Chants de brumes

L'Afrique rêvée et l'Afrique réelle se côtoient constamment dans le livre de Kama Kamanda, "Chants de Brumes". En lui, ses racines. En lui, son sentiment profond d'être chantre. Et à travers un lyrisme très large qui balaie les pages, ce poète avoue sa liberté, son identité, celle d'un homme noir qui sent vivre en lui ses soeurs et ses frères noirs. Il s'agit donc avant tout d'une exaltation de son peuple, de ses fièvres, de ses drames, de ses joies. Chant souterrain qui psalmodie, chant aérien qui troue l'air et qui appelle l'air des autres continents. Flux et ressacs disent le quotidien africain. Dans la nuit, "jaillir au bonheur d'être noir".

J'ai un faible pour le poème "L'arbre magique", point central des cercles concentriques du livre, où se resserre la sève lumineuse de la savane... et qui me rappelle le tilleul de Soleilmont. Les quatre éléments trouent les pages alliés aux réminiscences de la vie de l'auteur, à sa jeunesse première. Et, dès lors, c'est l'inévitable "Je me souviens", cent mille fois écrit, dit, répété. Mais une petite phrase, un seul mot parfois vient gauchir le banal, le déjà lu, le déjà vu. Le poème alors, nous ouvre les yeux, nous déconcerte, nous intrigue, nous amène à dire : "Nous voudrions en savoir plus". Et c'est notre propre enfance qui se mêle à celle de Kamanda. Tel petit détail apparemment infime donne sa véritable aura à tout le livre...

Ainsi en est-il de ces figues :

Des figues dont la chair crue

Evoquait de tendres souvenirs...

Le poème aussi peut être un masque apparemment anodin. Que cache-t-il au juste ? Ne dissimulerait-il pas ce que Kama Kamanda nomme avec justesse "Le Soleil Noir de l'Afrique" ?

Jacques Izoard