Construis-moi un bateau

Je descends de la voiture, louvoie entre flaques et cataractes qui dégringolent de la toiture, me dirige vers les cordages destinés à remonter la bâche. Je suis seul pour assister à ce dévoilement, cette inauguration répétitive et toujours anticipée. Les poulies grincent tandis que la protection mal rapiécée s'élève, libère ses poches d'eau et laisse apparaître la longue forme blanche. Pointue, tendue comme un fauve, superbe. Je prends du recul et la contemple avec émotion. Elle ne sait ni ce qu'elle est, ni son nom, ni l'élément auquel elle est promise. Ce sera à nous de lui donner une âme.

Vierge. Puceau ou pucelle, le genre d'un bateau est malaisé à définir. J'aimerais être anglais pour lui dire «elle».

Malgré son inachèvement, elle existe. Je peux la voir, la toucher, grimper à bord et m'y enfouir, la faire devenir chose. La mettrait-on à l'eau qu'elle flotterait. Comme un bouchon sans doute, mais elleflotterait.

C'est réel et ça tient du miracle.

«Construis-moi un bateau...»

Anne imaginait-elle les conséquences de sa requête ?

Etienne le lui construira son bateau et elle mettra bien sûr la main à la pâte.

Diogène verra le jour dans un chantier de constructeurs amateurs, au milieu d'autres Trismus.

Entre village et tribu, l'endroit est un microcosme, une espèce de monde à part avec ses interdits, ses règles et son mot d'ordre : mise à l'eau.

Un peu de crasse, beaucoup d'humidité, des relents de résine, des poussières de bois : le décor est planté.

Adoigtraccourcix, Christian le toubib, Pousse-au-Crime s'apprêtent à tirer des bords carrés...

Le récit de Jean Etienne est à la fois truculent et émouvant.

Il a l'impertinence d'un pied de nez et la dérision d'un éclat de rire. On aime, on se pique au jeu...

Et, si on se construisait un bateau ?

Préfacé par Annie Vande Wiele