L'évasion d'une évasion

« Renoir n'était pas homme à s'illusionner. A faire sienne l'une des multiples constructions idéelles par lesquelles les hommes se masquent le monde. "A forger des raisons à toute sorte de songes", écrit joliment Montaigne. Son cinéma est d'une rare lucidité sur ce point. Très tôt, entre rêve et ce que les hommes se donnent à vivre, il fit le partage. "J'ai la conviction que le cinématographe est un art plus secret que les arts soi- disant secrets. On croit que la peinture, c'est secret, mais le cinéma c'est beaucoup plus secret ". »

La tâche d'un artiste est de nous démystifier, disait Renoir. De déchirer le voile épais qui sépare le regard humain du monde tel que son art se doit de le révéler. Toute époque a ses silences. A lui de les énoncer. Chez le cinéaste, tout se pense dans la pluralité et la diversité. D'où l'exceptionnelle inventivité de ses derniers films. Tous différents. Remettant en chantier ce qui avait été merveilleusement bâti dans les oeuvres précédentes. D'où leur présentation ici chronologique. Ce troisième et dernier tome réunit toutes les réalisations de la seconde période française de l'auteur. La moins célébrée, la plus méconnue. A tel point que son ultime opus, Le Petit théâtre de Jean Renoir, n'avait encore jamais été étudié. Un ensemble d'une étonnante actualité en dépit du qualificatif de « vieux films » que l'on prête à de telles fictions. Actuel, au coeur des problématiques modernes : traitant du transhumanisme, de l'écologie, du féminicide comme d'un masculinicide, de l'écart grandissant entre les repus et les déshérités, de la manipulation des masses par des meneurs, du fonds de violence et de cruauté propre au sujet humain, du pouvoir de falsification du langage humain, d'une nécessaire hiérarchisation des plaisirs plus que de leur simple usage... Cinq films (ou huit, le dernier en contient quatre) traités selon des esthétiques particulières. Pour certaines profondément novatrices. Ici analysés avec toute la précision que requière leur intelligence. Selon le mot de l'un de leurs personnages, la difficile conception d'un art de vivre.