L'Aveuglon

Il a cinq ans, il vit à Marrakech, il est aveugle comme une taupe, pauvre comme un rat et s'il s'échine à remplir inlassablement un seau de crottin, c'est qu'il est bien résolu à remplir sa tirelire pour se payer son rêve : une opération de la cataracte. Un jour, il se l'est promis, il verra tout ce qui existe sur terre. Tout.

Orphelin d'un père qu'un sac de plâtre a laissé lisse comme un timbre-poste, là-bas, en France, abandonné par une mère à la fesse légère, Marruecos le bien-nommé, ira s'instruire de la vie auprès de Grand'Oncle, cordonnier dans la Médina, et de Fatima, sa persiflante compagne.

Au sein de cette cour des miracles dont la réalité relève du conteur ambulant, Marruecos officie. Conseillé par Medhi Tahib, un homme d'affaires avisé âgé d'â peine huit ans, il se fraie un chemin parmi les habitants délirants d'un monde bizarre aux couleurs vives, aux odeurs entêtantes et aux senteurs affolantes. Et dans un pays «où l'on force les gens à devenir aveugles puisque voir n'est pas autorisé», Marruecos deviendra heureux comme un prince tant il est vrai qu'au royaume des aveugles les borgnes sont rois...

«L'infirmité d'un môme mérite un livre entier», écrit Gomez-Arcos. L'Aveuglon est ce livre auquel une plume truculente, magique, fille de Rabelais donne un charme oriental vénéneux, et où la vie s'apprend par tous les sens... ou presque.