La fin d'une corvée de bois

- Que se passe-t-il lorsqu'une petite fille, que rien ne peut arrêter lorsqu'elle court derrière un papillon (cette petite fille est absolument irrésistible), se jette sur un implacable bûcheron (cet homme est un roc inébranlable) qui défend son territoire une hache à la main ?

- Ah, ah ! le célèbre paradoxe. La force irrésistible à l'assaut du roc inébranlable. Et vous prétendez l'avoir résolu ?

- Évidemment.

- Il ne se passe rien.

- S'il ne se passait rien, il n'y aurait pas d'histoire.

- Je donne ma langue au chat.

- Merci pour lui. Il n'a rien mangé depuis hier soir.

- Alors ?

- Alors, si vous me prêtez vingt francs, je...

- Vous n'allez pas recommencer. Toujours le chantage.

- Il faut bien vivre.

- Oui. Et après vous me direz d'acheter le livre.

- Non. Cette histoire-là est un cadeau, justement. Je l'écris au dos.

- Quel dos ?

- Au dos du livre. Il faut toujours écrire des choses au dos des livres, c'est plus poli.

- Alors, dépêchez-vous. Nous sommes bientôt au bas de la page.

- C'est vrai, mon Dieu. Alors, voilà l'essaim de papillons du genre Macaon filant droit sur le bûcheron, et la petite fille à folle allure, se jetant irrésistiblement sur lui, qui brandit sa cognée. Que va-t-il se passer ? Eh bien, quelque chose d'inouï et pourtant de très simple. Figurez-vous qu'à l'instant où cette petite personne heurte l'implacable homme des bois, et au moment précis et simultané où celui-ci se sent touché par cette invincible et totalement innocente impétuosité, le phénomène nouveau et merveilleux dont je veux vous parler se produit. Phénomène qui n'est pas une hypothèse, mais une expérience dont je peux vous fournir la preuve... mais c'est fou comme le temps passe... je crois bien, malheureusement, que vous avez raison, maintenant que j'y pense, il me paraît plus sage de vous raconter tout cela plus tard, je veux dire terminer cette histoire au dos du prochain volume, n'est-ce pas plus raisonnable ? Voyez comme la nuit tombe vite à cette saison.