La malmorte

Portée par la brûlure de mots-cris, de mots-prières, de mots-coups de poing, La Malmorte déploie la scène d'un exorcisme, d'une reconquête de soi où s'affrontent les monologues, parfois croisés, parfois parallèles, de la survivante et de la sœur jumelle morte. En ce travail du deuil, en ce poème d'amour et d'adieu à une gémellité perdue, éclatent la nécessité et l'impossibilité de vivre quand l'autre n'est plus, de ressouder l'unité par une autre figure du Deux, de faire de l'amour le miroir de la mort.

«Daimôn» tapi au fond de soi, la sœur morte n'est plus que cet immense œil témoin qui scrute les déambulations des vivants - de la vivante -, ce surmoi, cette voix de la conscience qui se délecte des fêlures et échecs de celle qui, traîtreusement, lui a survécu. Trop pesante en son absence, omniprésente en son définitif retrait, elle est cet arrêt d'un temps pris dans la glace, cet envahissement d'un passé figé dont les ailes d'albatros recouvrent la nativité du présent. Comme si le mal mourir de l'une enchaînait l'autre à un irrémédiable mal vivre, comme si, spectatrice épiant les gestes, les ébats, les amours de son double, la morte n'était plus qu'attente du faux-pas, du point de crise...

Itinéraire d'une libération secouant l'emprise de l'absente dont il revient à l'écriture de l'assassiner pour de bon, La Malmorte agence un dispositif polyphonique beckettien où, en une violente lice, s'opposent des points de vue-points de vie discordants quant à la reconstitution de la mémoire.

Extraits de l'avant-propos de Véronique Bergen