Les chevaux de la pluie

Qui aurait pensé que Pidure, lui si frondeur, si coureur de jupons et si beau parleur aurait été attaché de la sorte au mystérieux Père Tannek et que sa douleur aurait jailli avec une telle faconde ? Qui l'aurait cru capable d'une pareille affection, lui qui sans scrupule faisait régner sa loi dans l'étude des Grands, dans l'Aquarium, sur l'Internat dominé par la Cime de l'Est, cette corne de neige qui a tant de mal à. rester amarrée dans le ciel ?

Karl ? Non, le sombre Allemand était trop préoccupé par ses fantômes de la guerre, trop attaché à ses rêves de perdition. Mais était-il si sourd, lui que la mort de Tannek va faire basculer ? Bazouille ? Bien sûr, sa générosité. Mais trop de bonté aveugle. Néron alors ? Peut-être. Le gros Empereur était plus perspicace qu'il n'y paraissait. Bitsi, le redoutable pion des Grands ? Trop soucieux de faire respecter l'ordre, il ne comprenait rien aux pensionnaires. Le Pacha ? Lui, le directeur musicien, avait de l'oreille pour les grands frissons qui traversaient son navire, il aurait pu deviner. En tout cas, Pidure le respectait.

Mais c'est la naine lise, la petite femme aux fesses rebondies et à la voix d'argent, qui saisit le mieux Pidure ; elle domine un étrange univers enfumé et musical, peuplé des créatures baroques de la Tour Ronde.