Les mémoires d'un facteur parisien

D'échecs cuisants en déceptions majeures, avec le chômage, la crise et tout le tremblement, il a bien fallu le passer ce concours de la Poste... Je me revois, les jours de pluie, aux commandes des canards jaunes de la maison, ou suant sous le poids de la sacoche dans la poussière de l'été. C'était comme si j'entendais, de Belleville à Ménilmontant, des voix étranges, suintant d'entre les pavés : «Maintenant, tu vas déguster mon bonhomme !»

Je ne sais comment empoigner la description de l'épopée du préposé du macadam dans cet étrange arrondissement... Ah, je n'étais pas un facteur aimable ; je le confesse, je n'avais pas la foi. Les copains non plus. A cinq heures du matin, quand le réveil venait cisailler nos rêves, on se disait qu'il était urgent de trouver la sortie, le bout du tunnel.

Le temps a passé et il m'arrive aujourd'hui de revenir par ces quartiers et ces rues. Les copains me disent à peine bonjour. Pour eux, je suis devenu une ombre et mon image s'étiole. Pourtant l'amitié véritable des travailleurs se nourrit des expériences communes ; mon évasion est le succès collectif de nos prières quotidiennes... Alors je regarde tout le décor de Paris-Vingt, les portes des immeubles devant lesquelles mon cœur se serre, en m'avouant que ce drôle de théâtre, je m'y étais habitué.

Je reconnais à l'angle d'une rue un ancien, un vrai, un authentique facteur. Au début, on se moquait d'eux, de leur loyauté, leur rectitude... Nous avions tort ; il est honorable d'aimer son métier, d'aimer les gens. Qu'ils ne s'offusquent pas, ces camarades, du récit de notre parcours commun.