Lettres enfin ouvertes au directeur du Monde

Il en est de l'écrivain comme du politique et de l'artiste: celui qui n'est pas seulement le reflet, mais le révélateur de son époque, montre, à travers la variété de ses oeuvres et de ses actes, une même ligne de force. L'angle de vue qu'il prend sur le passé ou sur son temps s'ancre dans une même vision. Gilbert Comte est de ceux-là.

L'un des meilleurs connaisseurs du monde africain, ancien membre de la Haute Autorité de la Communication audiovisuelle, interlocuteur de l'Élysée, Conseiller à Matignon, il jette sur les grands mouvements de l'Histoire et les petites tractations du jour le double regard analytique de l'historien et ironique du polémiste. Qu'il traite de la tragique mise en place du goulag (La Révolution russe par ses témoins) ou de la dérisoire mise en scène de la politique hexagonale (JacquesChirac), qu'il évoque les grandes heures de l'aventure coloniale française (L'Empire triomphant) ou ses moments perdus dans les rues de Moscou ou de Manhattan (Notes sur un temps rompu), Gilbert Comte témoigne d'une même intransigeance dans l'honnêteté intellectuelle, d'une même acuité dans l'interprétation, d'une même saveur dans l'expression, qui doivent présider à l'établissement des faits et à leur compréhension. Rien d'étonnant donc à ce que sa voix s'élève pour dénoncer la dérive d'un quotidien dans les colonnes duquel il s'exprima tant de fois, et pour rappeler ses dirigeants à leur devoir, eux qui s'affublent si volontiers d'une morale qui gode et plisse comme une défroque sur une carcasse de ruse et de mépris.

Ce livre est une voix qui vient de loin. Il reprend quelques textes de près de trente ans qui brossaient le portrait acerbe, mais exact, de notre société d'aujourd'hui et du plus profond d'une conscience qui se révolte contre le mensonge distillé chaque jour plus loin et plus fort par le concert des langues de bois.

Gilbert Comte n'est pas un Renan qui trouve qu'il fait bon vivre dans une période de décadence. Il est de la trempe de ceux qui dévoilent les ressorts de leur temps et qui, le cas échéant, seraient capables de les remonter. Ce livre, écrit avec une plume tenue comme une épée laisse un peu plus pantelants à chaque page les maîtres du prêt-à-penser et du truquage de l'Histoire.

Puissent les lecteurs faire preuve de la même sûreté de dégoût et de la même capacité d'indignation que l'auteur.