Livre de la nature et débat trinitaire au XIIe siècle

Le De tribus diebus est une œuvre inclassable et foisonnante de Hugues de Saint-Victor († 1141). Enseignant la connaissance de Dieu et le progrès spirituel à travers l'admiration du monde visible, il abonde en traits suggestifs : la nature comparée à un livre, une preuve originale de l'existence de Dieu, un emploi récurrent de la triade «puissance, sagesse, bonté», qu'Abélard allait rendre fameuse par ses théories controversées sur la Trinité. Cette densité doctrinale explique que l'ouvrage ait si vite rencontré un large succès dans les écoles et les cloîtres, mais aussi qu'à l'époque moderne il n'ait donné lieu qu'à des études sectorielles. Il manquait donc une monographie l'envisageant comme un tout : c'est ce qui est ici tenté, en associant l'étude des manuscrits, des textes et de la pensée. Menée de front avec l'édition critique, l'analyse des codices montre que le De tribus diebus fut tôt intégré dans des collections d'écrits hugoniens ; par là est précisée l'authenticité d'un grand nombre d'écrits mineurs et mise en évidence l'adoption à Saint-Victor de procédures de copie annonçant le système universitaire de la pecia. L'étude littéraire du traité invite ensuite à réviser sa date reçue, à voir en lui les prémices de Hugues comme théologien, à découvrir des sources nombreuses mais repensées, à recenser une vaste postérité de saint Bernard à Paul Claudel, à dégager une composition subtile et sinueuse et à saisir sur le vif les remaniements d'un des maîtres de la prose d'art médiévale. Enfin, l'étude doctrinale du De tribus diebus et sa comparaison avec les Theologiae d'Abélard conduisent à réinterpréter le débat trinitaire au XII^e siècle : plutôt que le philosophe breton, Hugues doit être tenu pour l'auteur de la triade «puissance, sagesse, bonté» et de son application trinitaire. Dès lors, les condamnations d'Abélard viennent en partie de ce qu'il transpose un thème hugonien dans un cadre intellectuel différent. L'histoire de la triade des origines à Bonaventure permet alors de décrire les voies par lesquelles une théorie d'abord contestée se transforme peu à peu en un lieu commun de la théologie scolastique.