Le soc

Mon grand-père, paysan, homme de la terre, avait ce don de faciliter le passage de la vie à l'éclosion de chaque nouvelle aurore. Il sentait que par cet outil, ce soc, sa main créatrice faisait s'exprimer la vie, cas de la volonté de puissance au sens de Nietzsche.

Dans l'effort, à chacun de ses pas, se gravaient des sillons sur ses doigts, blessures pétrifiées et peaux mortes abandonnées, alors qu'il creusait devant lui des saignées ruisselantes de vie. Scènes tragiques où il innervait le sol de la puissance de ses bras : transmission, échange, nerfs contre muscles, veines contre cicatrices.

Il ne traçait pas de frontières, il ne clivait pas ce qu'il faisait pousser. Il savait que chaque parcelle n'était limitée et séparée qu'en apparence, opportunément, alors qu'en-dessous fusait le grand chaos des racines, des agencements sans issue aux issues imprévisibles.