Mémoires de Békées

L'aristocratie blanche des îles antillaises a produit tout au long du 19^e siècle beaucoup de sucre et peu d'écrivains. Et ceux-ci ont le plus souvent contribué à enrichir de stéréotypes idéalisants la littérature exotique. La réalité concrète de la vie sur l'habitation, moins aimable qu'on ne l'a fait croire, n'a été introduite en littérature qu'à partir de 1945, et sous la plume des écrivains de couleur. Il s'est alors constitué un contre-mythe négatif, celui du riche possédant, à la fois dandy et féroce, raciste et nostalgique de l'esclavage. Rares sont les documents qui permettent de corriger ces images figées, idéalisantes ou caricaturales, et de se faire une idée exacte de la manière de vivre et de la mentalité des planteurs.

Aussi est-ce l'intérêt de ce volume de présenter deux récits autobiographiques, inédits l'un et l'autre, écrits par deux descendantes de grands planteurs. Le premier, Le Sablier renversé, est la chronique d'Elodie Jourdain, née Dujon (1891-1954) ; le second a été composé par Renée Léger, née Dormoy (1864-1948), mère du poète Saint-John Perse.

L'écriture est tantôt alerte et savoureuse, tantôt grave ou même dramatique. La saga familiale alterne avec l'évocation d'événements sombres, parmi lesquels le plus tragique est celui de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, dont Elodie a été directement témoin.

Au-delà des cas particuliers, ces récits sont des documents exceptionnels sur la société des planteurs aux Antilles aux débuts de la grave crise sucrière qui entraîna leur déclin et, pour beaucoup d'entre eux, leur départ définitif.