Mon maître intérieur

Mon Maître intérieur

Voici la prière que Rahma adresse à son Maître intérieur, une présence invisible qui l'a accompagnée six années durant :

Hier encore, tu me dotais de clairvoyance, pour me permettre d'accomplir d'ineffables exploits. Tu me réduisais aux dimensions d'une graine de sésame pour me ramener dans le ventre de ma mère. Tu me faisais traverser le miroir pour me placer face à moi-même. Tu me faisais rencontrer mes parents défunts, tu me libérais de mon corps pour m'inciter à parcourir tout l'univers. Tu me montrais le paradis (notre monde parallèle), tu me montrais le jardin des Hespérides, tu me montrais le royaume lumineux des morts. Tu me dotais de quatre visages, pour m'offrir un regard circulaire, de semelles de plomb pour prendre possession de ma Terre natale. Tu me faisais participer à l'épopée de la Bible, aux exploits des héros mythologiques. Tu me faisais enterrer les morts sans sépulture, tu m'as clouée sur un lit de torture. Tu m'as même égarée sur une planète vierge. Et pourtant, à tes côtés, j'étais confiante comme l'enfant dans les bras de sa mère. Ton impalpable indulgence convertissait mes crimes en vétilles, mes drames en comédies, mes attentes en caprices et mes questions en réponses. Tu avais endormi ma méfiance et ma peur. Tu me donnais la certitude d'être « habitée ».

Tu m'as aimée, six années durant. Je pensais que notre alliance m'avait permis d'amasser plus d'amour qu'il n'en faut pour illuminer le reste de mon existence. Je me trompais. Sans toi, j'ai peur de perdre la confiance dont tu m'as dotée. Si tu t'obstines dans l'invisible, j'ai peur de t'oublier, j'ai peur de te renier, j'ai peur de ne plus méditer.

Et pourtant, je m'en souviens, j'étais emplie de toi, j'étais flamboyante, j'étais glorieuse, j'étais victorieuse, j'étais enceinte du bonheur : tu étais amoureux de moi.