Mon obsession magnifique

Fils du siècle, figlio del secolo. Peu de cinéastes auront été autant fils que Bernardo Bertolucci. Peu de cinéastes auront été aussi contemporains. En relisant ces textes qui courent sur cinquante années, en revoyant les films qu'il a imaginés depuis 1962, on voit apparaître une unité. Celle de la filiation, du temps présent, d'une fragilité combattue et préservée. Et celle d'un style.

Son père, Attilio Bertolucci (1911-2000), poète célèbre, critique de cinéma et de jazz, mourut assez tard pour que Bernardo prétende ici être allé de l'enfance et de l'adolescence à la vieillesse sans passer par l'âge adulte. Être fils n'est pourtant pas une entrave. Cinéaste à 15 ans, prix Viareggio à 21 ans pour un premier (et dernier) livre de poésie, présent à Cannes à 23 ans : ce fils maintient une partie de l'oeuvre dans l'adolescence éternelle, en dépit des années.

Dans ses films (De Prima della rivoluzione au Dernier Empereur, en passant par Partner, La Stratégie de l'araignée, Le Conformiste et bien sûr Le Dernier Tango à Paris), Bertolucci affronte aussi le couple, le deuil, le sexe adulte, le rêve adulte, avec les doutes, les dérives, la mort même de ses personnages.

S'il aime Renoir par-dessus tout, si Pasolini et Godard appartiennent à son destin, son plaisir de la forme, de la volute, de l'amplitude le rapproche d'Ophuls. Artiste baroque, il choisit comme lui le grand spectacle pour écrire son traité du vide. Bertolucci a le goût du mélodrame, comme Douglas Sirk dont le film de 1954, Magnificent Obsession, inspire le titre de ce livre. Fragile, toujours adolescent, anxieux, de son temps : magnifique, obsédé, grand cinéaste.

R. M.