Mythographes

Comme dans les meilleurs films noirs, tout commence par une filature : le narrateur a suivi son jeune collègue historien-Allmeyer jusqu'au pied de son immeuble, guettant le moment où il pourra s'introduire chez lui et le tuer. Cette attente est alors le lieu d'un long flash back durant lequel le narrateur décrit et analyse son conflit avec Allmeyer. Tout oppose ces deux historiens qui travaillent sur la même « problématique explosive » qu'est la montée de l'austro-fascisme : à la réussite médiatique et universitaire d'Allmeyer ne fait écho que le silence assourdissant dont on entoure les travaux du narrateur, l'aisance et l'habitus social du premier ne contribuent qu'à renforcer la personnalité de loser du second. Bien que parfaitement conscient de la façon dont Allmeyer, « ce salopard, cette personnalité charismatique, -imbattable à tout coup, aguerrie à toutes les vicissitudes », devient une sorte d'« intellectuel médiatique », ce dernier n'en est pas moins profondément jaloux de ces succès immérités. Et la flamboyante Franziska Werder, la belle libraire rousse convoitée par le narrateur, saura-t-elle voir clair dans ce jeu de dupes ?

Hanno Millesi excelle dans ce roman à décrire les affres de l'historien-narrateur sur un ton où le comique le dispute au tragique. Comme déjà dans Murs de papier, l'humour tient ici une place de choix et l'auto-ironie dont il ne se départit jamais fait du narrateur un petit frère des anti-héros et autres figures lunaires de Robert Walser.