Un Mois de sécheresse

En quatre-vingt-sept années, combien de mots prononcés, de portes franchies, de visages aimés puis estompés ? Lorsqu'on est arrivé au bout, à l'extrême bout de la vie, la mémoire agonise lentement, ne laissant subsister dans sa chute que trois ou quatre fragments insolites : un choeur d'enfants entonnant une Marseillaise anticléricale, un homme aux abois croisé rue Saint-Jacques ou rue des Ecoles ; dix ans plus tôt, c'était une berline blanche qui traversait les montagnes sous la nuit ; cinquante années s'écoulent, et voici qu'un visage de femme repose sur l'oreiller lisse et frais d'un lit d'hôpital... Aussi, pourquoi troubler le cours d'une vie qui s'achève paisiblement entre un fils aimant et gastronome, une bru impératrice des fourneaux, une fille un peu inquisitrice mais sans doute sincère, et trois petits-fils en mal d'argent de poche ? Pourquoi convier ceux dont le corps et le souvenir n'en finissent pas de se décomposer à une fête ultime et dérisoire ? Pourquoi, ou plutôt pourquoi pas ? Qui sait où se trouve réellement l'extrémité de la vie...